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La musicothérapie au service des prématurés : quand la musique et les sons se mettent au service de


Stéphanie Lefebvre avec Térésa © Suzana Kubik / France Musique

Ils s'appellent Quentin, Hugo, Mia et Térésa, tous sont des bébés nés prématurément pris en charge au service de néonatologie de l'hôpital de Creil, premier à avoir intégré la musicothérapie dans les soins proposés aux bébés. Reportage avec Stéphanie Lefebvre, une des rares musicothérapeutes spécialisées en néonatologie en France .


Il est 14h30. Stéphanie Lefebvre se prépare pour sa journée de travail. Elle enfile ses chaussons, enlève les bijoux et ramasse ses cheveux sur la nuque. Pendant de longues minutes elle se lave les mains, avant de mettre sa blouse. Ensuite elle sort ses instruments : un tambour d’océan et un piano à pouces, qu’elle désinfecte soigneusement, avant de quitter les vestiaires et rejoindre le service de réanimation en néonatologie.


Nous sommes à l’hôpital de Creil, seul hôpital en France qui depuis 2007 a intégré la musicothérapie dans les soins en néonatologie. Stéphanie Lefebvre est musicothérapeute, et a accompagné cette initiative depuis ses débuts. Deux fois par semaine elle met ses compétences à disposition du service pendant trois heures.


D’abord la « réa », le service qui accueille les grands prématurés. Quand ils arrivent, certains bébés n’ont que 28 semaines in utero et ne pèsent pas plus de 800 grammes. Leur prise en charge est très médicalisée : arrivés au monde trop tôt, ces bébés sont étroitement surveillés. Entre les soins souvent désagréables - prises de sang, pose de cathéter- et un environnement sonore qui peut être agressif, ils peuvent être très sollicités. En dix jours au service de réanimation, un prématuré peut être exposé à 300 soins pas très agréables, précise Stéphanie.


D’un regard Stéphanie évalue l’état de son premier petit patient : il s’agit d’un prématuré de 33 semaines qui pleurait pendant les soins. Son rythme cardiaque est élevé, il est très agité. Le rôle de Stéphanie sera de l’apaiser pour lui permettre de retrouver le sommeil. Elle s’approche de la couveuse, ouvre délicatement la porte. Elle pose sa main sur sa tête et se met à vocaliser tout doucement, tout en surveillant ses constantes sur le moniteur.


« L’intérêt de la musicothérapie dans ce cas précis est de permettre à l’enfant de gérer la transition veille-sommeil et de mieux tolérer les soins qui peuvent être assez désagréables. Un grand prématuré a une hypersensibilité auditive et tactile et l’adaptation à l’environnement peut être très difficile. »

Stéphanie Lefebvre chante accompagnée d'un piano à pouces © Suzana Kubik / France Musique

Stéphanie s’adapte à la situation de chaque enfant : avant de choisir le type d’intervention, elle passe par une étape d’observation en fonction de son état, de ses besoins et de son stade de maturation. En réanimation, elle utilise peu de paroles ou de chansons, mais plutôt le humming, une voyelisation rythmée pour créer un univers enveloppant qui rappelle l’univers sonore in utero. Soutenu par le bruit du tambour d’océan, le son simule les vibrations sonores qui parviennent au bébé par la paroi utérine ainsi que les battements du cœur de la maman, le souffle de la circulation sanguine, les bruits intestinaux. Apaiser un grand prématuré, c’est d’abord agir au niveau physiologique : réguler sa respiration et son rythme cardiaque et limiter sa dépense calorique pour optimiser les bénéfices de son apport alimentaire pour sa croissance et son développement.


« Il s’agit d’une approche active : j’adapte ma proposition en fonction des indications ou contre-indications que je trouve sur place. Pour les bébés prématurés, il y a deux écueils qu’il faut prendre en compte : la sur-stimulation sonore ou l’absence du son, les deux étant nocifs pour le bébé. Dans le milieu naturel, les sons qui l’enveloppent participent aussi à sa maturation. S’ils ne sont pas adaptés ou s’ils sont absents, cette maturation ne sera pas aboutie. Tous les paramètres sont strictement définis : il faut veiller que l’intensité et la fréquence du chant ne soit ni trop élevée, ni trop basse. Les sons stridents ou brusques sont bannis ; d’ailleurs, dans le service on essaye de soigner l’univers sonore jusqu’à limiter le bruit des alarmes ou les bruits agressifs provoqués par la manipulation du matériel. »


La musique permet de déclencher le sentiment de parentalité


Peggy Lejoncourt, psychologue au service de la néonatologie, travaille notamment sur le lien parent-enfant qui est souvent fragilisé dans les situations des grands prématurés : leur pronostic vital étant engagé, ils ne peuvent pas être portés, bercés ou nourris par leur mère.


Dans le service, une attention particulière est portée à l’implication des parents dans les soins pour favoriser le contact précoce avec le bébé pour que le sentiment de parentalité se construise au mieux. « Une naissance prématurée est un grand choc pour les parents. Ils sont parfois déçus parce qu'un prématuré n'est pas le bébé dont ils ont rêvé. Le fait de le voir ouvrir les yeux, réagir à l'écoute des sons que propose Stéphanie, les rassure parce qu'ils se rendent compte que leur bébé communique avec son environnement, » explique Cécile Barelle, cadre infirmier du service.


Stéphanie suit les prématurés tout au long de leur séjour en néonatologie. Une relation avec le musicothérapeute s’établit au fur et à mesure des séances, ce qui participe au développement neuro-comportemental et psychoaffectif de l’enfant : « Au niveau de la survie des grands prématurés, on a fait d’énormes progrès. L’enjeu principal en néonatologie et en réanimation est d’en faire autant en soins de développement. La musicothérapie y joue un rôle important, comme la prise en charge en psychomotricité ou par les psychologues, dans l’immédiat comme dans la prévention des séquelles qui peuvent se manifester dans leur vie future.»

Mia et sa maman pendant les soins © Suzana Kubik / France Musique

Mia est arrivée dans le service de réanimation à cinq mois et demi de gestation. Stéphanie la suit depuis le début. Maintenant, Mia pèse deux kilos et s’apprête à rejoindre le service kangoroo, où sont accueillis les bébés qui ont acquis une autonomie respiratoire et une stabilité au niveau du poids qui leur permettent de quitter la couveuse.


Installée au sein de sa maman, Mia apprend à téter. Lorsque Stéphanie se met à chanter, elle s’arrête un moment, pour reprendre de plus belle. Stéphanie a choisi une berceuse douce, mais rythmée, pour encourager Mia de continuer à téter.


« On a remarqué que la musique provoque chez les bébés le réflexe de succion, ce qui est très important pour les prématurés qui ont beaucoup de mal à s’alimenter. »


Pour Mia, Stéphanie propose les berceuses accompagnées d’un piano à pouces. A un moment, la maman de Mia se met à chanter aussi. Pour les bébés qui sont sortis de la couveuse, Stéphanie peut les prendre dans ses bras, mais si les parents sont présents, elle privilégie leur implication. Pour la maman de Mia c’était très rassurant de voir Mia réagir à la musique dès les premières séances, parce qu’elle était très inquiète du manque de communication avec son bébé.



Une discipline pionnière qui attend d'être reconnue


Une des rares musicothérapeutes spécialisées en néonatologie, Stephanie Lefebvre a fait toute sa formation en Allemagne. En France, la musicothérapie en néonatologie se résume à des interventions ponctuelles, alors que, selon Stéphanie, les bénéfices ne peuvent être observés que dans la régularité et la durée. Mais la musicothérapie en général souffre encore en France de peu de reconnaissance :


« C’est la deuxième année que la Faculté de médecine de Montpellier accueille les formations en musicothérapie en néonatologie, ce qui veut dire que l’horizon s’ouvre petit à petit. Mais nous n’en sommes qu’aux débuts, et les difficultés liées au contexte de réductions budgétaires dans les hôpitaux publics ne nous facilitent pas la tâche. Dans les pays germanophones – Allemagne, Suisse germanique et Autriche – la musicothérapie en néonatologie est solidement implantée, avec des budgets considérables alloués à la recherche et une trentaine d’hôpitaux qui l’ont adoptée déjà. »


N'étant pas considérée comme appartenant au corps médical, Stéphanie ne peut pas être embauchée par l'hôpital de Creil et est payée par l’association de pédiatrie et néonatologie du GHPSO, qui arrive d'année en année, à lever des fonds pour maintenir sa présence à l'hôpital. Son intervention est limitée à deux après-midis par semaine, alors que les besoins au sein de la néonatologie à l'hôpital de Creil sont beaucoup plus importants.


Le service de néonatologie de l'hôpital de Creil a fait de ses recherches en soins de développement, dont la musicothérapie fait partie, une priorité et est devenu même le service pilote de la région dans le domaine. Un apport indispensable de l'humain pour être le plus à l'écoute des prématurés, de leurs besoins et de leur développement, comme le précise Cécile Barelle :


«La musicothérapie fait partie des actions pour les prématurés parce que cela permet vraiment un contact différent. Ce n'est pas du soin pur, mais cela rentre quand même dans la prise en charge. On sent qu'après une séance, l'enfant est plus détendu, et plus à même de recevoir des soins moins confortables. Et justement, les soins de développement, c'est que ce soit le bébé qui nous dise à quel moment il est prêt à recevoir ces soins. C'est un travail pluridisciplinaire, et Stéphanie, même si elle ne fait pas partie de l'hôpital, fait partie de l'équipe et nous aide à aborder le bébé et à décoder ces moments où il est plus apte à recevoir des soins. Parce que le stress, sur le cerveau du bébé prématuré, et sur son système digestif, c'est vraiment très, très nocif. Cela peut être très dangereux et avoir des conséquences très graves. Avoir, comme ça, un apport de musique, avec des sons qui sont adaptés et qui ne vont pas provoquer un stress, mais, au contraire, apaiser l'enfant, c'est très important.»


« L'intérêt pour la musicothérapie ces dernières années et les recherches qui se multiplient et qui apportent les preuves scientifiques par l'imagerie médicale, font petit à petit avancer les choses. Il faudrait maintenant que les universitaires et les practiciens réunissent leurs éfforts pour que la prise en charge de l'humain par la musicothérapie, et plus généralement, l'art-thérapie, qui ont fait leurs preuves sur le terrain- soit reconnue au même titre que la prise en charge médicale.» conclut Stéphanie Lefebvre.




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