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Epreuves : la force des rituels

Quand la parole ne suffit plus, les actes symboliques peuvent avoir des vertus thérapeutiques. Singuliers, difficilement recevables pour un esprit rationnel, ils sont de plus en plus utilisés par les thérapeutes. Car ce sont de puissants leviers de transformation.


Femme, yeux fermés tenant des bâtonnets d'encen

Un soir, Sylvie se rend sur la tombe de ses parents, munie d’une lettre écrite de sa main et d’une statuette sculptée dans le berceau de son enfance, représentant ce qu’ils avaient attendu d’elle et qui lui a tant pesé. Déguisée en petite fille, elle leur lit son texte avant de le brûler et de répartir les cendres dans les moindres interstices « pour les rejoindre dans cette terre ». Ensuite, elle étale du miel sur les noms inscrits sur la pierre « pour redonner de la douceur à cette relation ». Enfin, elle dépose la statuette dans une forêt et, dans le pot en zinc où elle avait brûlé sa lettre, un pommier d’amour, symbole de renaissance. À travers la mise en scène de ses souffrances, elle a restitué à ses parents ce qui leur appartenait et qui l’étouffait.



Mettre une peau de lion


Inspirés des cultures traditionnelles, les rituels thérapeutiques, définis comme « des actes symboliques prescrits qui doivent être accomplis d’une certaine manière et dans un certain ordre, accompagnés ou non de formules verbales (1) », ont été introduits en Occident dans les années 1970, notamment par les thérapeutes de l’école de Milan, un centre pionnier de thérapie familiale. « Ils s’étaient rendu compte que la thérapie ne suffisait pas toujours », précise Élisabeth Horowitz, spécialiste en psychogénéalogie et en thérapies brèves. « Parler peut alléger émotionnellement, mais ne permet pas nécessairement de changer ou de guérir. Les actes symboliques, eux, délivrent l’énergie qui a été figée, aident à mettre une distance entre soi et son vécu, et à renaître. Ils peuvent résoudre les traumas les plus profonds. » Dans certaines peuplades, raconte-t-elle, on transcendait ses difficultés en se faisant tatouer un ours ou en revêtant une peau de lion, symboles de force. Lorsqu’il s’agissait d’extraire le tourment dont souffrait un malade, on le matérialisait par toutes sortes d’objets, bois, insectes, cailloux. « Et ça fonctionnait ! À partir du moment où l’inconscient voit concrètement que la substance négative associée au mal est sortie du corps, le problème est expulsé », assure Éric Laudière, thérapeute en constellations familiales et en rituels thérapeutiques.


Selon lui, « les mots ont un pouvoir limité, car ils ne s’accordent pas avec le langage de l’inconscient, qui est celui de la métaphore. L’acte symbolique est le vecteur le plus clair ». Alexandro Jodorowsky, artiste protéiforme et thérapeute, spécialiste des « actes psychomagiques », estime que chaque arbre généalogique comporte des endroits traumatisés qui cherchent à être soulagés. De ces endroits sont lancées des flèches vers les générations futures. Ce qui n’a pas pu être résolu devra être répété et atteindre quelqu’un d’autre, une cible située sur une ou plusieurs générations plus loin. Éric Laudière, qui a été son élève, explique : « L’idée est de mettre en place un leurre pour cette flèche, en lui fabriquant une fausse cible. Pour une flèche dont la cible est la mort à un certain âge, il s’agira de créer un rituel de mort symbolique à cet âge pour que l’inconscient de la lignée soit satisfait. »


Lettres feu clé


Manger un peu de terre


Dans son livre Les Actes symboliques (Jouvence éditions), Élisabeth Horowitz propose plusieurs actions, « simples, rapides et gratuits : en cas d’exil douloureux, manger tous les jours quelques grammes de la terre d’origine ; écrire ses peines sur une feuille et les jeter du haut de la tour Eiffel ; remplir une valise d’objets signifiants et nous en débarrasser chez celui qui nous a maltraités. On peut réduire au format timbre-poste la photo d’une personne qui nous a causé du tort, ou a contrario, si nous avons été dévalorisés, agrandir notre propre portrait en poster géant, « car ce qui impressionne l’inconscient, c’est le grand, l’imposant ».


« Il n’y a pas de recette, indique Éric Laudière. L’important est de construire chaque détail sur un mode qui parle à l’inconscient. » Delphine, 43 ans, a laissé l’alliance de son premier mariage sur l’autel d’une église. « En thérapie, il était apparu que, malgré mon divorce, j’étais toujours attachée à mon ex-mari, notamment en raison de cette phrase : “L’homme ne peut pas effacer ce que Dieu a uni.” Cette prise de conscience ne suffisait pas à me libérer. Déposer mon alliance a été décisif. J’ai pris soin de la cacher sous un crucifix pour que le père puisse en faire don à l’église. »




Choisir deux objets


Petite voiture jaune


Plus qu’une simple tâche, le rituel est un processus. La préparation et le suivi comptent autant que l’acte lui-même. « Quelqu’un qui a vécu un accident de la route devra analyser tous les détails du drame (âge, marque de la voiture, lieu de l’accident, etc.). Il pourra ensuite choisir une réplique miniature de la voiture, la porter sur elle le nombre de jours correspondant à l’âge auquel s’est produit le drame et la déposer dans un endroit positif », suggère Élisabeth Horowitz. Le rituel est accompli une seule fois ou de façon répétée. Pour Juliette, une séance a suffi. « Cela faisait des mois que je cherchais à me libérer de la relation pathogène que j’entretenais avec mon fils. Mon thérapeute m’a proposé de choisir deux objets dans son cabinet, l’un représentant le fils que j’exécrais, l’autre symbolisant la lumière. J’ai choisi un porc-épic, que j’ai placé derrière moi, puis un carillon que j’ai disposé devant. Ces gestes, qui me paraissaient futiles, ont accéléré ma thérapie et fait jaillir l’amour que j’avais pour mon fils. »


Les prescriptions sont parfois étonnantes, convient Élisabeth Horowitz, « mais elles ont des conséquences concrètes, sur la maladie, les problèmes professionnels, la difficulté d’avoir un enfant, etc. ». Seule condition de réussite : être prêt à les appliquer. Éric Laudière préconise de se faire accompagner par une personne expérimentée : « On peut agir seul, mais c’est assez risqué. J’ai vu trop de dégâts. » C’est avec lui que Sylvie a élaboré son rituel sur la tombe de ses parents. Il a nécessité un an de gestation. Au terme de cet acte, un morceau de son arbre a été reconstruit, lui permettant d’avancer dans l’acceptation des liens qui sont les siens.



(1) Dans Le Rituel thérapeutique, à la recherche d’un nouveau souffle, d’Anne Courtois, Thérapie familiale, 2006.



A découvrir, à lire


Éric Laudière est auteur de La Constellation familiale est un je (Éditions Quintessence).

Alexandro Jodorowsky est coauteur de Métagénéalogie, la famille, un trésor et un piège (Albin Michel).

Courrier-thérapie, d'Elisabeth Horowitz, (Jouvence éditions)



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