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Thérapies psychocorporelles : notre corps parle aux thérapeutes

Que révèle notre corps de notre histoire, de notre façon d’être au monde, de notre inconscient ? Peut-il être un levier de changement ? Des thérapeutes nous racontent comment ils l’observent et travaillent avec lui.

jeune femme sur canapé

Bienvenue dans l’univers foisonnant des thérapies psychocorporelles. Ces approches globales, qui associent corps et esprit, ont pour point commun de travailler avec le corps, sur le corps. Certains thérapeutes utilisent la relaxation, le massage. D’autres interrogent notre posture, notre regard, notre façon de respirer ou de retenir notre souffle, invitent au toucher, au mouvement. D’autres encore s’intéressent aux micro-mouvements, aux subtils changements de coloration de la peau ou suivent l’évolution de nos sensations dans toutes leurs variations. Car « dans une conception holistique de l’être humain, nous sommes un tout indissociable », éclaire Isabelle Le Peuc’h, directrice de l’École parisienne de gestalt. Un tout qui n’est pas la simple addition des aspects somatiques et psychologiques, mais qui englobe corps, pensées, histoire, représentations, croyances, relations aux autres, comme une expérience de soi complète et en mouvement. Pour preuve, dès qu’apparaît le désir de travailler sur soi, c’est le corps entier qui est engagé.


« Un jour, une personne se lance : elle saisit son téléphone et appelle un thérapeute. Ce premier pas mobilise amplement le corps, et ses manifestations – tension, souffle court, rythme cardiaque accéléré – disent souvent l’inquiétude mais aussi le désir, l’espoir », annonce Élisabeth Petit-Lizop (1), analyste psycho-organique, méthode qui allie le processus analytique et le travail corporel. Puis vient le moment de pousser la porte, de serrer une main, de s’asseoir et de parler de soi. « Le corps est déjà là, à sa manière si singulière », souligne Isabelle Le Peuc’h. Et « donne de nombreuses indications. Une personnalité dépressive ne se comporte pas de la même façon qu’un hystérique, l’une étant plutôt recroquevillée tandis que l’autre projette son énergie vers l’extérieur. Mais il serait prétentieux de dire que cela suffit à poser un diagnostic », admet Anne Fraisse, cofondatrice de l’École française d’analyse psycho-organique. Voire dangereux. Méfions-nous des thérapeutes omniscients qui se croient le pouvoir de lire nos attitudes comme des cartomanciens, d’y voir des comportements à modifier ou des significations à décoder. « Au maximum, une posture pourra être une piste à explorer ou à questionner avec précaution, pour mieux comprendre le patient », ajoute Isabelle Le Peuc’h. « Vous, par exemple. Vous semblez bien ancrée, assise de manière stable, le haut du corps tendu vers moi. Vous respirez peu, mais c’est moi qui parle, vous êtes attentive à ce que je dis », m’interpelle Anne Fraisse. « Cela ne me dit rien de votre histoire. Cela témoigne juste de comment vous êtes à cet instant, avec moi, dans cet endroit », complète Isabelle Le Peuc’h. Rien de plus. Ou plutôt : le reste, c’est au patient de le dire.


Tous porteurs de cuirasses

Pour Wilhelm Reich, premier psychanalyste à mettre le corps au centre de la démarche thérapeutique, dans les années 1920, nous serions tous porteurs de cuirasses, témoignages des expériences de la vie qui nous ont modelés, autant psychiquement que physiquement. « Les cuirasses caractérielles sont la somme des défenses psychiques mises en place pour nous protéger ; d’autres, musculaires, inhibent l’action et l’expression émotionnelle, explique Guy Largier (2), somathothérapeute analytique qui utilise le massage, la relaxation et le focusing (3) dans un cadre analytique jungien. Je me rappelle un patient qui avait le côté droit rigidifié. Avec des massages, il s’est souvenu qu’à table, quand il était petit, il était toujours assis à gauche de son père, dont il avait peur. À force, il s’était désensibilisé. »


Pour les thérapeutes qui travaillent avec l’inconscient, le corps serait porteur de sa propre mémoire. « Ne serait-ce que pour témoigner des premières années, avant l’accès à la parole. Les expériences fœtales, notamment, sont imprégnées dans nos tissus, engrammées », détaille Guy Largier, reprenant un terme de neurophysiologie pour évoquer les traces mnésiques laissées dans le cerveau et, par extension, dans le corps. « Par le toucher, nous accédons à la mémoire corporelle des stress et des traumas. Les spasmes, les tensions, les changements de coloration, de température, de texture de peau sont à écouter comme les rêves ou les lapsus. C’est l’inconscient qui s’exprime », reprend-il. Mêlant massage et récit, le patient et le thérapeute avancent ainsi pas à pas : « Au fur et à mesure que le corps se décrispe, la mémoire se libère. Au fur et à mesure que la pensée s’ouvre, le corps change sous mes doigts comme de la pâte à modeler. C’est très émouvant à constater. »

Homme bras croisés dessin tableau noir

Dans les années 1970, certaines thérapies de groupe développées dans des ambiances baba cool permirent de découvrir l’intérêt de la mise en mouvement pour lâcher prise. Voire pour accéder à des états modifiés de conscience, par l’hyperventilation ou la transe dansée, par exemple. Désormais, l’hystérisation des affects et la catharsis spectaculaire ne sont plus en odeur de sainteté. En gestalt-thérapie, qui s’intéresse à notre manière d’être en contact avec l’environnement, « il ne s’agit pas de défoncer des coussins en hurlant. Être à l’écoute des petites sensations est d’une richesse incroyable. Nous pouvons explorer ce que le patient ressent lorsqu’il ouvre délicatement sa main, qu’il la ferme. La lenteur permet de conscientiser les sensations, de mieux en suivre la transformation », précise Isabelle Le Peuc’h. Ce dont doutait Annie, 60 ans : « Je trouvais ces questions sur mon corps inutiles. Je venais pour parler des problèmes avec mon mari ! Jusqu’au jour où la psy m’a proposé de m’agripper à sa main plutôt qu’aux accoudoirs du fauteuil. J’ai eu un vertige terrible, des nausées. J’ai retrouvé mes peurs de petite fille. Et compris ma difficulté à accepter du soutien. »



Une boule, une balle, un gros nœud ?

La mise en mouvement est porteuse de sens. Lorsque Anne Fraisse, en analyse psycho-organique, propose à un patient de « se mettre debout, c’est pour travailler sur l’enracinement, l’affirmation ou l’identité. S’étirer, bâiller, marcher ramène aussi parfois des souvenirs, des images ou des émotions. Mais pour entrer dans son monde intérieur, l’idéal, c’est d’être allongé, les yeux fermés. Surtout après quelques minutes de relaxation : le système parasympathique est à l’œuvre, la personne est en état “alpha”, comme on dit en sophrologie, et les défenses sont bien moins mobilisées ». Tandis que la séance en face à face ouvre, elle, sur les problématiques relationnelles. C’est ainsi que Julie, 32 ans, a exploré la juste distance entre elle et son thérapeute : « Lorsque je m’approchais, je me sentais envahie. Pour me protéger, sans m’en rendre compte, je coupais ma respiration. Lorsque je me reculais, je respirais mieux… mais je ne parvenais plus à percevoir la présence de l’autre. J’étais trop loin. En essayant plusieurs places, j’ai appris beaucoup sur mon rapport à l’autre. »


Travailler avec le corps, c’est parfois, tout simplement, y accorder de l’attention, « avec curiosité et émerveillement, sans jamais présupposer où cela va nous mener, nuance Isabelle Le Peuc’h. Quelqu’un qui vient avec une contraction au ventre, nous allons prendre le temps de bien la sentir, de l’accueillir. Puis de la décrire, de la laisser évoluer », comme une métaphore ou un rêve éveillé. Si c’est une boule, est-ce une pelote de laine, une balle, un gros nœud ? Chaud, froid, mou, dur, mouillé… ? Est-ce une tension agréable, qui nous tient, nous réchauffe ? Ou désagréable, car elle nous pèse, nous empêche ? C’est en dépliant les sensations que nous accédons à de la nouveauté. Nous sortons des discours « sur » soi, de ce que nous savons déjà par cœur. En affinant notre acuité sensorielle, nous discernons aussi mieux ce que nous vivons en dehors du cabinet. Aptes à capter les informations données par nos ressentis sur nos envies, nos besoins, et celles de nos sens sur l’environnement, nous pouvons mieux choisir ce qui nous convient. Nous devenons plus responsables. « “Qu’est-ce que tu sens dans ton corps ?” Cette phrase qui me faisait sourire quand mon thérapeute me la posait me sert aujourd’hui de repère », souligne Claude, 40 ans.



Plus de souplesse

Dans le cadre rassurant du cabinet, nous pouvons aussi essayer d’autres façons de faire, sortir de nos habitudes. Puis nous autoriser plus de souplesse à l’extérieur. Car « le changement aussi s’engramme dans le corps », note Guy Largier. « Prendre conscience que je respirais à si petits poumons parce que j’avais appris, petite, à me préserver de l’envahissement de mon père, c’était déjà beaucoup. Réaliser que cette façon d’être m’avait permis de survivre, mais qu’elle n’était plus adaptée à ma situation d’adulte, ça a changé ma vie ! Depuis, je respire autrement », raconte Julie. « Le changement corporel sans le changement psychique, ça ne sert à rien. Ou alors on fait juste un massage de détente, pas une thérapie. Et on retrouve ses habitudes corporelles dès le lendemain, souligne Guy Largier. Pour qu’il y ait une transformation qui corresponde à une véritable réconciliation du sujet, l’idéal est que les pensées (ce que je comprends, j’analyse) soient en congruence avec le corps (ce que je sens), les images (ce que je rêve, j’imagine) et les affects (les sentiments). »

femme de dos bras ouverts

1. Élisabeth Petit-Lizop, auteure, avec Éric Champ, Anne Fraisse et Marc Tocquet, de L’Analyse psycho-organique, les voies corporelles d’une psychanalyse (L’Harmattan). 2. Guy Largier, auteur de Comprendre et pratiquer les thérapies psychocorporelles (InterÉditions). 3. Focusing : méthode thérapeutique destinée à préciser ses sensations.



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